Auteur : Marie Bourbonnais – sœur consacrée CCN
De nombreuses années de scoutisme l’ont façonnée – elle y a découvert sa vocation professionnelle, celle de l’enseignement. Les stages, notamment une longue expérience de volontariat au Tchad auprès d’enfants non scolarisés, l’ont confortée dans la conviction que l’éducation est au service de la dignité. Elle nous partage ses réflexions.
Nous allons voir en quoi le fait d’évacuer toute forme d’autorité dans un chemin d’éducation est un frein à l’humanisation. Pour cela, nous étudierons le rapport à l’autorité dans notre société contemporaine en explicitant la déshumanisation de l’éducation privée d’autorité. Puis nous aborderons la juste autorité, chemin de croissance et d’humanité, notamment dans l’éducation.
Le rapport à l’autorité dans notre société contemporaine
La société actuelle occidentale prône une éducation positive, bienveillante. Cette approche éducative met en avant une écoute attentive et première de l’enfant : l’enfant prend la première place et devient petit à petit « l’enfant roi ». Envahissant la majorité des lieux d’éducation (familles, école, mouvements de jeunesse etc.), la conséquence de cette approche rejaillit sur les parents et éducateurs dépassés par l’éducation de leurs sujets, jusqu’à se demander qui a autorité sur qui.
L’atmosphère ambiante surprotège l’enfant et évacue toute limite ou sanction éducative, l’autorité étant un mot qui n’a pas la cote et qui est malheureusement biaisé.
Analysant cette éducation positive actuelle, Caroline Goldman, mère de quatre enfants et spécialisée dans la psychologie des enfants et adolescents, dénonce un risque de confusion entre le besoin d’amour et le besoin de limites. Selon elle, les limites éducatives sont nécessaires car elles sont aussi une preuve d’amour et l’apprentissage de la frustration est essentiel. Les limites sécurisent l’enfant et lui permettent de se contenir : il apprend ainsi la frustration. Dans l’éducation positive actuelle, l’idée de punition ou de sanction est également remise en question. Or, le conflit entre parents et enfants n’est pas forcément négatif : amour et limites vont de pair. Selon elle, un autre écueil actuel est d’associer l’autorité parentale à un abus d’autorité. Il y a une confusion entre reconnaître des droits et affirmer que l’enfant a les mêmes capacités qu’un adulte. Il y a nécessité d’éduquer à la loi.
La déshumanisation de l’éducation privée d’autorité
Une éducation privée d’autorité implique la difficulté à dire non au sujet éduqué. Or, dire non à un enfant n’est pas castration envers cet enfant mais c’est bien souvent dire non au délire de la pulsion qui peut le traverser. Ainsi, le point pivot de l’éducation est la discipline en tant que parole d’autorité seule à même de faire rempart à l’envahissement pulsionnel. Emmanuel Kant appelle ainsi la discipline l’effort : sans cette mise au travail, il n’y a pas d’humanité qui puisse émerger.
Hannah Arendt fait un parallèle entre crise de l’éducation et crise de sens. Les éducateurs doivent ainsi être des provocateurs de sens ! Il y a un inconfort derrière ce non, un inconfort à poser des limites. Le sens même de l’autorité, c’est l’augmentation : autorité renvoie à auctoritas, à augere, c’est-à-dire à augmenter. Nous sommes donc face à une crise du sens de l’autorité et du sens de la transmission dans le monde. Selon Hannah Arendt, il y a un risque à légitimer un monde propre à l’enfant en les laissant s’organiser entre eux tout en souhaitant favoriser leur autonomie. Elle encourage plutôt à accepter que l’enfant ne soit pas capable de se gouverner par lui-même, cela pour éviter la pulsion ou le conformisme.
Selon les auteurs, nous voyons que nous pouvons conduire un enfant vers sa vie d’adulte (Dewey) ou vers sa vie d’homme (Platon). La visée n’est pas tout à fait la même. Dans le second cas, nous prenons au sérieux la vocation d’humanisation que porte l’éducation. Dans le premier cas, nous manquons à cette vocation et nous risquons la déshumanisation du sujet. A travers la discipline, la place des limites et l’exercice de l’autorité, un éducateur se met au service d’une humanité à laisser émerger.
La juste autorité, chemin de croissance et d’humanité, notamment dans l’éducation
Alors que la discipline a toute sa légitimité pour une activité sportive ou artistique, pourquoi peut-elle être perçue comme une menace dans l’éducation ? La discipline est devenue un terme négatif alors que cela pourrait renvoyer à la discipline des savoirs ou à l’ascèse (ascesis = exercice). L’apprentissage de la discipline a pour enjeu de dés-ensauvagerl’enfant et est un point pivot de la liberté selon Emmanuel Kant. Dés-ensauvager le sujet signifie le libérer de la tutelle naturelle (pulsions, penchants naturels…) donc la discipline rend capable de la liberté. La sauvagerie est finalement l’indépendance vis-à-vis de toutes les lois. Or, les lois sont la médiation par lesquelles l’homme découvre et apprend l’ordre de la liberté. Selon Kant, par la médiation de la loi, l’éducation conduit ainsi à la liberté. Pour Platon, les lois ont une fonction éducative, elles sont comme une tutelle parentale : il y a une parentalité de la loi.
Derrière les règles ou le cadre posés par un éducateur, se pose la question de la liberté du sujet : l’éducation favorise ou aliène-t-elle la liberté ? L’héritage antique affirme que chaque sujet est invité à choisir le bon maître à l’école duquel il apprendra à être libre. Il n’y a pas d’autonomie sans obéissance. La discipline est un point pivot de la liberté, elle est cet effort permettant à l’humanité de pouvoir émerger. Cet idéal, cette visée de l’éducation est celle de l’humanité, dans ce qu’elle porte de meilleur.
En conclusion, l’éducation étant un « enseignement préparatoire » à notre humanité, la crise de l’autorité dans cette éducation met en danger sa vocation profonde. Si un enfant n’a pas accès à l’autorité qui fait grandir, il est aussi dépourvu de son chemin de croissance et d’humanisation. La juste autorité est une augmentation, un chemin pour augmenter le sujet, un moyen pour lui permettre de grandir et de devenir homme. A l’inverse, évacuer l’autorité dans l’éducation est un chemin de déshumanisation pour l’enfant et le met en difficulté face au manque de repères dont il a besoin pour se construire.